La Chine et le baptême à la baïonnette de Compesières (19/08/2024)

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Le 25 janvier 2025 marquera les 150 ans du Baptême à la baïonnette. Qui se souvient de cette tranche d’histoire, pas si locale que ça, dont notre église de Compesières fut le théâtre en 1875?

Capture d’écran 2024-08-19 à 22.22.51.pngCe mardi 20 août à 19h15, Stephan Rothlin (photo), un jésuite zurichois envoyé en mission en Chine par Pierre Emonet, habitant à Carouge et ancien provincial des Jésuites de Suisse,  donnera une conférence au Centre paroissial Sainte-Croix.

Qu'y a-t-il de commun entre le baptême à la baïonnette et les catholiques de Chine aujourd'hui?

Pas grand chose sans doute sauf qu'en Chine il y a deux églises catholiques: une église catholique officielle et une église catholique clandestine, fidèle à Rome et interdite par le régime de Pékin. On estime le nombre de catholiques en Chine à 12 millions de personnes soit 0,5% de la population. 


Capture d’écran 2024-08-20 à 07.44.07.pngLe journal La Croix publie ces jours une histoire des chrétiens en Chine en quatre épisodes. Selon un récit légendaire, l'apôtre Thomas aurait été le premier à pénétrer dans l'empire du milieu. Puis quelques chrétiens d'Orient. Puis des marchands et au XVIe siècle, des Jésuites constitués en 1540 alors que Calvin régnait sur Genève, dont l'un d'eux Matteo Ricci fut reçu par l'empereur de Chine au début des années 1600 (une bande dessinée récente relate sa vie). Vinrent ensuite les colonisateurs européens et leurs canons et d'autres chrétiens associés aux envahisseurs. Aujourd'hui, les accords secrets entre le Vatican et Pékin permettant la nomination conjointe des évêques de l’Église catholique chinoise pourraient être renouvelés cet automne. 


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Il y a 150 ans, les catholiques d'ici, décidés à rester fidèles à Rome, refusèrent que leurs prêtres prêtent serment à la République, un serment alors exigé par le gouvernement radical de l'époque engagé dans une lutte de civilisation (Kulturkampf) contre le Vatican, à cette époque bien plus puissant qu'aujourd'hui et qui venait, en 1870, de décréter le dogme de l'infaillibilité pontificale. Bien des églises des Communes réunies furent alors fermées, contraignant les fidèles à se réunir dans des chapelles provisoires.  

L'église de Compesières resta close une vingtaine d'années, celle de Carouge fut confiée jusqu'en 1921 aux catholiques nationaux, connus aussi sous l'appellation catholiques chrétiens. C'est en 1926, après une longue restauration que l'église Sainte-Croix fut rouverte au culte catholique romain. Cent ans plus tard, l'église est à nouveau en travaux. Dans sa notice historique publiée sur le site de notre UP, Jean-Paul Santoni, qu'on peut l'été venu rencontrer à Landecy dans sa maison de famille, rappelle que la chapelle de la persécution fut bâtie à la rue Jacques-Dalphin, à l'emplacement du Centre paroissial actuel, et que c'est dans ces murs qu'est né le Théâtre de Carouge en 1958. 


En 1977, quand on inaugura la salle communale de Bardonnex (vidéo Mémoire de Bardonnex), construite à l'emplacement de la chapelle de la persécution, une pièce de théâtre montée par Isabelle Villars, relatant ce fameux baptême, reçut un accueil vibrant et ému, presque religieux. L’auteur de ces lignes et quelques autres habitants ont conservé une moustache de cette mémorable fête 1900. C'est sur ce même emplacement que se construit la nouvelle école primaire de la commune de Bardonnex. 

En 2024, un siècle et demi plus tard, le temps a fait son oeuvre. On n'imagine pas combien les choses, les croyances, les mœurs et les gens ont changé. Pour quelle foi, quelle espérance, quelle justice se bat-on ici aujourd’hui?

Le Baptême à la baïonnette, objet d'une étude universitaire

En 2018, Sarah Scholl, aujourd’hui historienne et professeur associée à la faculté de théologie de l’Université de Genève, publiait une étude intitulée « Intolérance contre les intolérants ? Microhistoire des violences religieuses du xixe siècle, Genève 1870-1900 ». La chercheuse y relate le baptême à la baïonnette et comment il s’est inscrit dans l’émancipation des citoyens conduite alors par les républicains et les radicaux à Genève et en bien d’autres cités en Europe. Voici le début de cette étude qu’on peut lire intégralement en cliquant sur ce lien.

« Genève, janvier 1875 : un certain Etienne Maurice demande à ce que son fils nouveau-né soit baptisé dans sa paroisse d’origine, Compesières, par le curé Victor Marchal1. La requête est atypique car l’ecclésiastique demandé venait de rompre avec Rome et d’opter pour l’Église « catholique nationale et libérale » mise en place en Suisse deux ans plus tôt. La demande est refusée par les maires responsables de l’église de Compesières mais acceptée par l’instance supérieure, le gouvernement du canton de Genève. La cérémonie est fixée au 20 janvier 1875. Partie de Genève en voitures, la famille avec l’enfant, quelques proches et le curé sont accueillis sur place par les villageois et les autorités communales, réunis au son du tocsin. Ils refusent d’ouvrir l’édifice et montrent leur colère. Des coups partent, une femme lance du poivre aux yeux du curé libéral et, lorsque la délégation décide de s’enfuir, des pierres sont lancées contre les voitures. À partir de là, il ne s’agit plus d’un baptême mais d’une « question de principe » et une nouvelle cérémonie est fixée par les autorités cantonales au 25 janvier. Les troupes sont levées – 500 hommes – pour assurer la sécurité de l’événement. Il s’agit de venger « l’honneur national si inconsidérablement compromis »2. Plus de trois mille citadins, selon la presse, se déplacent à Compesières. Arrivée sur place, cette foule découvre l’église barricadée de l’intérieur. Une pancarte est accrochée sur la porte déclarant : « la propriété est inviolable ». Un drapeau noir flotte sur le clocher. La porte ne cède pas. Un trou est alors fait sur le côté de l’église pour pouvoir entrer et ouvrir. Le baptême a lieu, puis les protagonistes et la foule repartent. L’église, déclarée souillée, est abandonnée par les paroissiens qui se réfugient dans un hangar. »

Imagine-t-on pareille rébellion aujourd’hui? De quel bois se chauffait donc nos ailleux pour défendre leur foi? Parmi ces résistants, citons Joannès de Montfalcon, maire de Plan-les-Ouates, destitué deux fois par le Conseil d’Etat pour avoir refusé de donner les clés de l’église de Compesières.

Pour beaucoup et dans de nombreux lieux dans le monde, le combat se poursuit. La loi de l’Eglise - la loi de Dieu - doit s’imposer aux lois humaines, aux constitutions civiles, affirment-ils. Qu'en pensez-vous? A Genève, le conflit a été réglé en 1907 par la séparation des églises et de l'Etat. les prêtres ne sont plus salariés par l'Etat et les lieux de culte ne sont plus propriétés des communes, comme c'est le cas encore dans de nombreux cantons.

En 2018, la loi genevoise sur la laïcité, tente de régler la montée des fondamentalismes et resserre son contrôle sur les religions. Sauf exceptions, les manifestations religieuses cultuelles doivent se dérouler sur le domaine privé. 

En Chine et ailleurs des chrétiens risquent toujours leur liberté et même leur vie pour leur foi.

L'an prochain, 150 ans après le baptême à la baïonnette, s’achèvera la construction de la nouvelle école de Compesières. Y aura-t-il quelques enseignements à tirer de ce doubles événements?

 

 * À Charrot, le chemin de la Baïonnette relie la route de Foliaz au chemin Charles Burger.

** Histoire de Plan-les-Ouates par Pierre Guillermin. Article paru dans la Tribune de Genève le 14 septembre 1976.

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