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Baïonnette, goupillon et laïcité

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Que reste-t-il aujourd'hui du Baptême à la baïonnette de Compesières célébré le 25 janvier 1875? Pourquoi et comment la fièvre politique et confessionnelle est-elle montée en cette fin du XIXe siècle, puis, quoique lentement, est retombée heureusement chez nous? Quel vaccin s’est-on administré pour vivre ensemble sans exclusions réciproques. 

Ces questions trouveront quelques réponses le samedi 8 mars lors d'une soirée marquant le 150e anniversaire de l'événement de Compesières, un haut fait du Kulturkampf à Genève


En attendant le 8 mars, retrouvons nous ce dimanche 2 février. Messe à 10h à Compesières, suivie d'une présentation sur le "KT" d'aujourd'hui par Laurence Sciboz-Faulkner et d'un apéritif offert par le Conseil de communauté. Avec peut-être des crêpes...


Capture d’écran 2025-01-30 à 16.22.36.pngMme Sarah Scholl, professeur d’histoire du christianisme à l’Université de Genève, et une exposition de la Mémoire de Bardonnex évoqueront cette affaire et son contexte à 18h. L’entrée est libre.

Nous nous retrouverons ensuite autour d’un buffet républicain. N’attendez pas pour vous inscrire! Téléchargez l'affiche et le flyer de cette soirée. Merci de les diffuser autour de vous


Lire de Sarah Scholl: Étatique et hérétique : la création d'une Église catholique nationale dans la Rome protestante (Genève, 1873-1907). Et Microhistoire des violences religieuses du xixe siècle, Genève 1870-1900


***

Les plus anciens gardent le souvenir de la pièce de théâtre montée en 1977 par Isabelle Villard et René Habib lors de l’inauguration de la salle communale de Bardonnex. Des acteurs du cru jouent les premiers et les seconds rôles. C'est l'histoire de nos parents qui est sur scène. Chacun se remémore alors l’histoire de la chapelle de Compesières bâtie en 1880 par les catholiques de la paroisse de Compesières. Le bâtiment est vétuste mais, des années durant, il a accueilli les fêtes communales, les kermesses, les soirées, les Noëls de l’école. Que de souvenirs mémorables!

La pièce de Villars et Habib reprend des pans entiers de l'affaire consignés par l’abbé Blanc. Notre ancien maire Jacques Delétraz édite et augmente ces notes en 1975 à l’occasion du 100e anniversaire. La pièce et l'ouvrage sont un grand succès. Les noms de plusieurs familles sont évoqués parmi les résistants.

“Le Baptême à la baïonnette” a été rejoué en 2001 en plein air devant l’église sous la direction d’Enzo Mattana à l’occasion du 150e anniversaire de la création de la commune de Bardonnex, née de la scission de la commune de Compesières en 1851. On peut en voir un extrait sur le site de la Mémoire de Bardonnex.

 

Le Baptême à la baïonnette, c’est un épisode local du Kulturkampf, un temps de passions qui voient les héritiers des lumières et tenants de l’élection des parlements par le peuple batailler pour leurs idées contre les conservateurs et l’Eglise catholique. Il vaincront contre un pape, Pie IX, qu'on dit obscurantiste (un peu, beaucoup, soulignez ce qui convient). Le Saint Père s'oppose au modernisme, met des ouvrages à l’index et finit en 1870 par être déclaré infaillible. C’en est trop. Des catholique font sécession et créent l'Église vieille catholique de Suisse (actuellement Eglise catholique chrétienne).

A Genève, les deux camps se raidissent. En 1873, le pape nomme le curé Gaspard Mermillod vicaire épiscopal, c’est faire un quasi évêque à Genève du bouillant prélat qui a grandement contribué à la construction de la basilique Notre-Dame. A la même époque, les catholiques deviennent majoritaires dans le canton. 

Le gouvernement genevois aussi s’est radicalisé. Il veut mettre au pas ces catholiques. Il fait expulser le nouveau vicaire Mermillod, fait voter une loi qui va donner les églises du canton aux catholiques chrétiens. Il expulse les congrégations religieuses et fait fermer des écoles et des hospices. Il fait venir des prêtres étrangers qui acceptent de prêter serment à la République.

La plupart des catholiques refusent ce diktat. Leurs prêtres refusent le serment. Tous restent fidèles à Rome. Ces habitants, nos aïeux, entrent en résistance. C’est dans ce contexte tendu qu’a lieu le Baptême à la baïonnette.

"L'affaire est assez simple, c'est l'histoire d'une provocation", raconte Eric Golay dans l’ouvrage "Histoire d'un vécu communal" financé par la commune de Bardonnex et édité en 2007 chez Slatkine.

Un postier genevois nommé Maurice, propriétaire d'une maison à Arare, veut faire baptiser son enfant à Compesières par un curé assermenté. La population s’y oppose. Les maires de Plan-les-Ouates et de Bardonnex aussi. Le 20 janvier, le cortège monté de Carouge est reçu par une grêle de pierre. Les maires qui ont refusé d'ouvrir l'église sont destitués. Une quarantaine de magistrats alors nommés par le Conseil d'Etat seront révoqués, raconte Robert Curtat dans l'ouvrage qu'il écrit en 1982 sur la commune de Bardonnex.

Le Conseil d’Etat mobilise trois corps de troupe et un peloton de gendarmerie. Le 25 janvier, il pleut à verse mais des centaines de curieux, on parle de trois mille personnes, montent à Compesières. Ils assistent à l’événement de loin. Les gendarmes empêchent l’accès à l’église, dont il faut percer un mur pour libérer les portes. Et c’est ainsi que sous la protection des baïonnettes, le baptême a lieu. 

Le lendemain, le Courrier de Genève et le Journal de Genève consacrent chacun un long article à l’affaire en première page. 

Les esprits se calment un petit peu. Mais l’opposition demeure. La loi de 1873 s'applique. Pendant une quinzaine d'années, les catholiques de Compesières seront privés de leur église. Ils disent la messe dans des granges. En 1880, ils bâtissent en cinq mois une chapelle au chemin des remparts. Là où la Commune de Bardonnex érige aujourd'hui la nouvelle école de Compesières.

D’autres églises du canton sont fermées ou occupées par l’Eglise catholique chrétienne, lit-on dans "Les effets du Kulturkampf dans le canton de Genève", un ouvrage collectif publié par la Mémoire de Veyrier (3e édition en 2019). La basilique Notre-Dame sera rachetée en 1912, l’église de Carouge en 1921. 

Progressivement des politiciens plus clairvoyant, des Fazy, Favon, Naville, Ador et dans le camp catholique, le pape Léon XIII, l'abbé Carry, né à la Croix-de-Rozon, mettent de l’eau dans leur vin. Au XXe siècle, le mouvement oecuménique permet aux différentes confessions de se rapprocher, d’expérimenter de fructueuses collaborations, de travailler ensemble, de nouer de réelles amitiés. 

Quant au vaccin, qui prévient progressivement la fièvre politico-confessionnelle, il s'est appelé séparation des Eglises et de l'Etat en 1907, puis laïcité qui a fait à Genève l’objet d’une loi en 2018 spécifique, suite à la révision de la Constitution genevoise en 2012. 


Voir aussi le Centre intercantonal d'information sur les croyances


La laïcité laisse la liberté à chacun de croire ce que bon lui semble, dans le cadre des droits humains et des lois civiles. Sous nos cieux, les Eglises ne font plus la loi. 

Ce vaccin ne fait pas de miracle. C’est une pratique de paix civile. Dira-t-on qu’il s’inspire de la fameuse parole du Christ: Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. 

Cette sage maxime n'a pas réglé tous les problèmes. Où commence le règne de Dieu? Où s’arrête celui des hommes de leurs gouvernements? Les avis divergent très vite dans le domaine éthique, quand par exemple il est question du début et de la fin de vie, de l'attention aux pauvres, aux migrants, aux plus âgés que notre société met volontiers de côté.


Lire: Le rapport du groupe de travail sur la laïcité à Genève, 2014 


Des Kulturkampf ne se déploient-ils pas aux États Unis, en Chine, au Proche-Orient, partout où des gouvernements dictent leur loi sans égard aux droits humains. 

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