Louis a fêté ses 77 ans le 17 mai dernier. Une fête dans le silence et les tourments d’un état neurologique douloureux, consécutif à une grave chute survenue en 2012 à Tokyo. Louis Roguet, engagé dès 1968 au sein de la Mission ouvrière Saints Pierre-et-Paul (www.mopp.net), devenu prêtre en 2001, s’est éteint à Fribourg le 25 septembre.
Né à Saconnex d’Arve en 1945, cousin des Roguet de Landecy et parents de plusieurs familles de notre paroisse, Louis était souvent revenu à Compesières de ses lointaines missions au Japon et au Brésil. C’était toujours une joie pour les paroissiens de le revoir. Très souriant, il paraissait un peu perdu. Derrière une apparence presque frêle, timide, l’homme cachait un caractère bien trempé, rebelle même à l’occasion.
Au bénéfice d’une formation complète d’infirmier à Fribourg, Louis a très vite ressenti l’appel d’être au service de son prochain. Il a suivi la voie du séminariste et est devenu membre de la Mission Ouvrière Saints Pierre-et-Paul (mopp) à 21 ans, en 1968, un choix radical mais pas si différent, sinon dans la forme, de celui des étudiants qui secouèrent alors la société patriarcale, tentant une audacieuse solidarité avec les ouvriers. Cette solidarité, Louis y a consacré toute sa vie.
En 1976, la mopp l’envoie au Japon où il travaille dans un hôpital. Dix ans plus tard, il est au Brésil. Il accompagne des jeunes séduit par l’œuvre de Jacques Loew, tout en venant en aide aux démunis. Dix ans passent. En 1996, retour au Japon toujours dans l’infirmerie. Il est ordonné prêtre en 2001.
Le drame qui va bouleverser sa vie survient en 2012. Lors d’un déplacement, il tombe dans la gare de Tokyo et demeure six semaines dans le coma. D’infirmier, il devient patient. Son état neurologique se dégrade progressivement. En décembre 2019, il est rappelé en Suisse contre son gré. Il vit comme un ours en cage dans une maison médicalisée, l’Institut de santé pour religieuses et religieux Fribourg. Jusqu’à la semaine dernière.
Prêtre ouvrier
Cette brève chronique tait l’essentiel: Louis Roguet avait adhéré au mouvement des prêtres ouvriers et en particulier à la Mission fondée en 1955 à Fribourg par Jacques Loew, le premier prêtre à travailler comme docker à Marseille en 1942. Dans nos paroisses beaucoup étaient séduits alors par les mouvements des Jeunesses ouvrière, agricole, étudiante chrétiennes. D’autres sont partis quelques années dans les pays du sud tout juste décolonisés.
En 2020, lit-on dans Wikipedia, qui cite Témoignage chrétien, il reste environ trois cents prêtres ouvriers en France, dont une petite quinzaine encore en activité, dans l'éducation, le nettoyage, la logistique, la santé ou la maçonnerie. Après des décennies de rapports tendus avec le Vatican, beaucoup se retrouvent dans le discours du pape François, sa critique du cléricalisme et son invitation à « aller aux périphéries ».
Louis Roguet fut un pionnier. Sans doute trop méconnu ici.
Dans La Lettre Bleue 2018, publication annuelle de la mopp, Louis signe un article sur Madeleine Delbrêl, une figure majeure du catholicisme français. Elle a elle aussi consacré sa vie aux ouvriers et fut proche de Jacques Loew. Le 26 janvier 2018, elle a reçu le titre de vénérable au Vatican, une première étape avant d’être déclarée bienheureuse.
« (…) Elle se lamentait en voyant que pour les chrétiens l’évangile n’avait plus de nouveauté, écrit Louis. Nous n’annonçons plus la bonne nouvelle parce que l’Evangile n’est plus une nouvelle pour nous. Nous y sommes habitués, c’est une vieille nouvelle. Le Dieu vivant n’est pas un bonheur prodigieux et bouleversant, il est un détail second de notre vie.
Je rencontre cela au Japon, poursuivait Louis en 2018, avec des chrétiens qui s’habituent à entendre l’Evangile à la messe et ne lisent jamais l’évangile. Dans les confessions je donne comme pénitence de lire au minimum une semaine l’évangile du jour le matin en mémorisant un verset comme présent du Père pour se le remémorer au cours de la journée méthode mopp. Beaucoup me remercient de ce conseil, ils sentent Jésus présent toujours présent à leur côté. Pour cela Madeleine et Jaques ont été nos maîtres et prophètes, merci. (…) »
Un grand priant
Le prêtre ouvrier Philippe Hennebicque, qui alla au Japon avec Louis, souligne qu’il fut un grand priant: «Il se levait au milieu de la nuit. Dans le silence, devant l’icône de sa chambre, il citait les noms de tous ceux devant lesquels il s’était engagé à prier pour eux: nous étions plus de 200 à être ainsi entraînés vers le Père de Jésus-Christ chaque nuit.
Les obsèques de Louis Roguet ont eu lieu le 29 septembre à Fribourg, en la chapelle des Soeurs d'Ingenbohl, en présence de quelques confrères et membres de sa famille, ainsi que du chanoine Claude Ducarroz.
La messe du 16 octobre prochain, à 10h, à Compesières, sera célébrée à l’intention de Louis Roguet et de tous ceux qui l’ont connu. (JFM)
Note: Cet article, qu'on peut télécharger en cliquant ici, a été rédigé à la demande de Cécile Roguet, une des cousines de Louis.
Photo: Louis Roguet en 2007 en visite à la Maigrauge.