L’Avent est donc devant nous et nous en sommes les acteurs. On est bien loin de la nostalgie des « c’était mieux avant » et de ceux qui regardent dans le passé des réponses pour le temps présent.
C’est à Compesières ce dimanche 28 novembre que sera célébrée pour les communautés de Veyrier, Troinex et Compesières, l’entrée dans le temps de l’Avent. C’est traditionnellement le début de la nouvelle année liturgique.
Un groupe de fidèles a préparé cette réunion qui sera suivie d’un apéritif à la salle Saint-Sylvestre. Venez nombreux et n’oubliez pas votre Pass Covid et votre masque.
Dimanche matin, j’ai lu dans La Croix un article bien intéressant d’un dominicain, Adrian Candiard. Je vous l’offre car je crois qu’il tombe en résonance avec le sujet de ce billet et quelques questions qu’on se pose en église. Ce texte s’inscrit dans une série publiée par le quotidien catholique français sur la question de l’identité, une série dirigée par Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef.
« Je suis je, voilà tout », affirmait Michel Serres. Pourrait-il encore le dire alors que se multiplient les questionnements sur nos identités, que ce soit au plan du genre, de l’origine ou de la religion ? Faut-il se réjouir de ces interrogations, permettant de prendre en compte les minorités, ou redouter que cela n’aboutisse à mettre chacun de nous dans une case particulière ? Dans le cadre d’une séquence dans La Croix du 15 novembre au 3 décembre , La Croix L’Hebdo propose trois points de vue distincts :ceux d’un religieux, d’une psychanalyste et d’une historienne.
« L’héritage chrétien n’est pas seulement un patrimoine »
Par Adrien Candiard
Saint Albert-le-Grand dit quelque part, en empruntant une image platonicienne, que le chrétien est un arbre dont les racines sont au ciel. Cette image paradoxale souligne un aspect essentiel : s’il existe évidemment une identité proprement chrétienne, elle s’ancre moins dans le passé que dans l’avenir. Nos racines, qui nous nourrissent et nous font grandir, c’est notre destination, cette condition divine à laquelle Dieu nous appelle. Les chrétiens des premiers siècles avaient une conscience très nette de la rupture qu’opérait pour eux leur adhésion à la foi chrétienne par rapport à leur origine païenne, dont la culture était souvent marquée par la célébration de l’autochtonie, de la cité, et donc une forme de célébration collective de soi. À cette satisfaite tautologie, « Nous sommes ce que nous sommes » , le christianisme répondait : « Vous êtes enfants de Dieu, mais vous devez encore accueillir ce que vous êtes. » L’identité chrétienne est alors vécue non comme une réalité qu’on porte en soi, mais comme un don à recevoir et à faire grandir, qui oblige précisément à sortir de soi-même.
Notre situation n’est plus aussi simple. Si le Christ est toujours notre avenir, le christianisme fait aussi partie de notre passé, en particulier de notre passé collectif : l’histoire de la France est inséparable de la foi chrétienne, qui l’a très profondément marquée jusqu’à une période très récente, dans ses valeurs, ses idées, sa sensibilité, sa littérature, ses institutions, son architecture… L’identité chrétienne tournée vers l’avenir doit composer avec cette dimension chrétienne de l’identité nationale, qui est, quant à elle, ancrée dans le passé. Il n’y a à cela rien d’incompatible, mais l’articulation des deux éléments est parfois un peu délicate.
Ce passé chrétien commun ne fait pas des catholiques les gardiens du musée national. En effet, ce passé n’appartient pas seulement aux seuls catholiques, mais à tous, croyants ou non. Les églises de village ont à ce titre un double statut : elles sont avant tout des lieux du culte chrétien, qui est leur raison d’être et la cause de leur construction ; mais elles sont aussi bien souvent le seul monument historique de l’endroit et son principal lieu de mémoire, d’une mémoire commune à tous. Bien qu’elle l’ait fait pour des motifs tout à fait différents, la loi de 1905, en municipalisant la propriété de ces églises dont l’usage reste affecté au culte catholique, a dans les faits assez bien rendu compte de ce double statut.
Mais les églises ne sont pas les seules à être partagées : les croyants le sont aussi. C’est qu’ils ne sont pas seulement des chrétiens dont les racines sont au ciel ; ils sont aussi, en même temps, des citoyens qui, à ce titre, ont aussi des racines dans le passé. Ils ne sont pas absents des discussions qui traversent la société française sur la place de cet héritage chrétien, dans une France où les catholiques sont devenus assez récemment minoritaires. Il est normal que les chrétiens prennent leur part de ces débats, et il est assez normal qu’ils y expriment parfois aussi une forme de nostalgie. Mais ils doivent garder à l’esprit qu’il s’agit là d’une discussion politique, et non religieuse ; comme croyants, ils ne peuvent se contenter de cette fonction notariale : le véritable « héritage chrétien », ce n’est pas un patrimoine, si riche soit-il, mais bien cette vie éternelle dont Dieu nous a fait les héritiers. L’identité chrétienne, l’identité propre des chrétiens, ce n’est pas la cathédrale de Chartres, mais le royaume de Dieu – et c’est un amoureux de l’architecture médiévale qui le dit ! Au milieu des discussions sur ce qu’être français veut dire, ne perdons pas de vue que pour nous, l’essentiel reste de devenir ce que Dieu nous donne d’être, des fils et des filles de Dieu.
Dominicain
Élisabeth Roudinesco « L’hospitalité à l’identité de l’autre doit être inconditionnelle »
Au départ, les recherches autour de l’identité étaient légitimes. Après la chute du mur de Berlin et le repli des préoccupations sur des dimensions plus sociétales, il était nécessaire de s’intéresser à ceux qui, dans les démocraties, devaient bénéficier d’émancipations, que ce soit des minorités encore persécutées, des victimes du racisme ou des femmes et des enfants subissant des violences… À noter pourtant que, assez vite, des sociologues ont mis en garde contre le risque d’une culture du narcissisme. Christopher Lasch a ainsi attiré très tôt l’attention sur l’émergence d’un grand fantasme de perte de l’identité qui risquait d’évoluer en affirmation identitaire. Dans l’histoire de la psychanalyse, on parlait de souffrances pathologiques « du soi par rapport à soi » : la Self Psychology .
Mais en quarante ans, cette approche s’est retournée en son contraire : ainsi, une conception réellement novatrice des études sur la sexualité distinguant le genre et le sexe a pu dériver vers une régression normalisatrice. L’idée qu’il n’y a pas une identité biologique fixée, mais que cela dépend aussi d’une construction sociale est tout à fait importante. Cette conceptualité a permis des avancées essentielles comme la dépénalisation de l’homosexualité. Cependant j’avais senti, dès les années 1995-1998 aux États-Unis, que cet individualisme menait à une dislocation des identités et provoquait des impossibilités de retrouver culture commune. Cette autoaffirmation de soi, transformée en hypertrophie du moi, est ainsi devenue le signe d’une époque où chacun cherche à être soi-même comme un roi, et non soi-même comme un autre.
Nous avons tous une identité plurielle : nous ne sommes pas réductibles à notre sexe, origine, religion, territoire. Il faut refuser l’appartenance au sens de l’enracinement, pour souligner que l’identité est d’abord multiple, et qu’elle inclue l’étranger en soi. C’est pour cela que j’aime bien l’expression de Michel Serres, « je suis je, voilà tout » . Ce qui a mal tourné, c’est d’affirmer que nous devrions être désormais assignés à une construction sociale après avoir été réduits à une identité anatomique.
Ceci dit, pour reprendre l’expression de Jacques Derrida ou de Paul Ricœur, l’hospitalité à l’identité de l’autre doit être inconditionnelle. Sinon, on ne pourra jamais régler les conflits d’identité. Si tout le monde se ressemble, l’humanité se dissout dans le néant. Et si chacun cesse de respecter l’altérité de l’autre en affirmant sa différence identitaire, l’humanité sombre dans la haine perpétuelle de l’autre. Le droit doit être capable de gérer ces conflits d’identité. Les États, qui garantissent à chaque sujet les grands principes de 1789, doivent fixer les limites de là où on ne peut pas aller. Par exemple, il y a des lois qui répriment le racisme, et je ne suis pas d’accord quand on parle d’un État français raciste de façon « systémique ». On confond l’État avec la société civile. L’État n’est pas raciste, il y a le recours possible au droit. C’est en ce sens que je prends mes distances avec les tenants de la philosophie analytique, qui fait entrer dans le droit l’idée de la subjectivité lésée : je dis que j’ai été violé, donc c’est vrai. Or, ce n’est pas forcément vrai en droit. Pendant des années, on a considéré que la parole des femmes, des enfants ou des homosexuels ne valait rien. On doit s’assurer aujourd’hui que cette parole soit écoutée, et ces personnes bien accueillies. Mais ensuite, il faut ce que la justice appelle des preuves. Sinon, on entre dans une justice de lynchage. Et on a tendance à oublier que le droit doit fonctionner au cas par cas.
D’un côté, nous avons donc une exacerbation des identités, et de l’autre un discours fasciste qui veut les anéantir. Toutes ces dérives doivent trouver leurs limites dans un cadre légal. Depuis 1789, la République repose sur ce contrat : chacun peut librement cultiver son identité à la condition de ne pas prétendre ériger celle-ci en principe de domination.
Historienne
Soi-même comme un roi, Seuil, 288 p., 17,90 €
Clotilde Leguil « Il existe en chacun une singularité énigmatique »
« Qui suis-je ? » est une question que chacun peut rencontrer dans sa vie, quand bien même il a à sa disposition un certain nombre d’identités en guise de réponses prêt-à-porter. Le discours sur les identités de genre, de race, sociale, culturelle, religieuse ne tend-il pas à effacer ce qui reste mystérieux en chacun concernant son identité ? Sommes-nous vraiment obligés de nous attribuer une identité nous conduisant à rejoindre une communauté de « tous pareils » ?
Il est vrai qu’il est quelquefois rassurant de se conforter dans la croyance que l’on connaît son identité. Il est vrai qu’il est aussi angoissant de s’affronter à son étrangeté. Il n’est pas aisé d’assumer quelque chose de sa vie en première personne. Il n’est pas aisé d’assumer le « Je », lorsque le discours commun nous invite à être normal, c’est-à-dire à nous conformer à la voie la plus commune et la plus attendue.
Entre la voie du narcissisme de masse proposé par le monde virtuel, nous invitant à exhiber l’image de notre corps en guise d’identité, et la voie du discours scientiste nous invitant à objectiver nos angoisses et nos traumas, quelle place reste-t-il pour l’énigme du « Je », l’énigme de « ce que je suis » ? Frayer un chemin au « Je », suppose de ne pas s’enfermer dans la comparaison et la rivalité avec ses semblables, voie qui conduit bien souvent à se perdre dans l’agressivité et à oublier son désir propre. Frayer un chemin au « Je », c’est aussi ne pas se laisser entièrement coloniser par l’empire du nombre et continuer de croire qu’il existe en chacun une singularité énigmatique qui ne pourra se quantifier, mais qui devra se déchiffrer.
Assumer le « Je » suppose alors de consentir à ce qui nous éloigne de toute norme : ne plus chercher à être normal, mais s’interroger sur ce qu’il y a d’unique en notre façon d’exister, de croire, de rêver, de parler, de vibrer. Cela suppose d’inventer sa propre route, celle qui nous conduira peut-être à nous rencontrer quelque part, depuis les hasards et les nécessités qui font notre destin. Un jour ou l’autre, ce qui nous revient de notre histoire et de notre corps nous surprend et nous déloge de cette certitude que nous avions de savoir qui nous sommes.
La question de « ce que je suis » est finalement celle de l’énigme qu’est pour chacun son destin propre. Ce destin, qui n’est pas fait que de liberté, mais aussi de la carte que nous avons tirée sans le savoir, et qui semble revenir sans cesse dans notre existence à la façon d’une carte forcée, ce destin donc peut être transformé à condition de le déchiffrer.
Affronter ce « Qui suis-je ? » depuis un certain rapport à la parole et au corps, c’est consentir à faire le deuil de la transparence et de la maîtrise de son identité pour enfin faire une place à nos souffrances et nos traumas. C’est ce à quoi conduit l’aventure d’une psychanalyse, à nous sentir concernés par ce qu’il y a de plus opaque en nous et finalement de plus intraduisible.
Freud a fait de l’inconscient un des noms du destin, pour montrer qu’il y avait à l’origine de chaque existence comme un oracle qui se réaliserait de façon inéluctable tant que le sujet ne chercherait pas à le déchiffrer. Lacan a fait du Surmoi cette instance en nous-même qui nous force sans cesse à nous conformer à ce que nous ne désirons pas.
Il appartient à chacun de ne pas « désubjectiver » son destin, fait de paroles et de rencontres, bonnes ou mauvaises. Affronter l’angoisse permet alors de ne plus céder aux normes du Surmoi et de trouver le chemin de la vraie révolte. Ce chemin qui nous permet de prendre notre destin à bras-le-corps et d’en faire jaillir, comme d’un silex, une étincelle.
Psychanalyste et philosophe
« Je ». Une traversée des identités, PUF, 228 p., 17 €
Céder n’est pas consentir, PUF, 224 p., 17 €