La paroisse de Notre-Dame de Genève a commémoré ce dimanche 22 septembre les 200 ans de la naissance du cardinal Mermillod. Le prélat, né à Carouge le 22 septembre 1822, sept ans après le rattachement de Genève à la Confédération fut le premier curé de la basilique en 1857 et l'ardent acteur du retour des catholiques à Genève mais aussi la victime du Kulturkampf.
Il a donc été question d'histoire et de luttes hier matin à Cornavin, où se trouvaient les fortifications de Genève jusqu'au milieu du XIXe siècle. Le régime radical fazyste octroya également à l'époque des terrains pour la construction d'une synagogue, d'un temple maçonnique (devenu le Sacré-Coeur où demeure désormais l'administration de l'Eglise catholique), de l'église russe et de l'église anglaise. Pas de mosquée ni de temple bouddhiste, car les fidèles de ces cultes étaient trop peu nombreux. Saurait-on aujourd'hui les accueillir dignement au coeur de la ville?
Le Carougeois fut longtemps un prêcheur infatigable en Europe chargé de réunir les moyens financiers nécessaires à la construction à Genève d’un sanctuaire capable de rivaliser avec la cathédrale Saint-Pierre, temple protestant depuis 1535: la basilique Notre Dame.
Sur Mermillod (que le protestant Blancpain a immortalisé en créant la bière Cardinal) lire l'article de la Tribune de Genève, de Wikipedia et de cath.ch. Le professeur dominicain Paul Bernard Hodel a réédité récemment un ouvrage sur la vie du Carougeois devenu cardinal écrit par l'abbé Fleury: De Genève à Fribourg par les routes de l’exil.
Mermillod consacra sa vie à un double combat, celui, là l'échelle locale, d'affirmer le retour des catholiques à Genève et celui, à l'échelle globale, de renforcer les partisans de Dieu contre les partisans de la République. Les premiers, je résume, pensent que les lois de Dieu doivent primer sur les lois civiles; les seconds défendent, avec les philosophes, que les humains sont désormais assez grands pour bien se gouverner, sans la tutelle d'une religion. Dieu devient une affaire privée.
Ce combat du glaive et du goupillon est relativement apaisé en Occident. Quoique. Les questions relatives au début et à la fin de vie sont encore âprement débattues chez nous. Celle de l'autonomie, de la liberté de l’être humain aussi, à une époque où la surveillance électronique progresse à grands pas. Ailleurs dans le monde, la question de la primauté de Dieu sur l'empereur fait encore de très nombreuses victimes.
Le combat local auquel Mermillod participa activement opposa les protestants qui entendaient rester maîtres chez eux et préserver la Rome protestante des influences de la Rome vaticane. Le Courrier de Genève créé par Mermillod fut un fer de lance de ce combat.
Le second combat concerne toute l'Europe, où les nations sont au milieu du XIXe siècle en formation. La Suisse devient une fédération en 1848, l'Italie un royaume unifié en 1860 et l'Allemagne un empire en 1870. Le mot "Kulturkampf" vient de cette volonté incarnée par le chancelier Bismarck. La science - pensez à Darwin, la philosophie - Marx - bouleverse les croyances. En Italie, le roi "des Savoyards" devenu roi d'Italie réduit le domaine du pape au seul minuscule territoire du Vatican. Comme pour jeter de l'huile sur le feu, le pape décrète le dogme de l'infaillibilité.
A Genève, certains protestants et des radicaux plus radicaux que les autres voulurent obliger les catholiques à se rassembler dans une église dite nationale, semblable à l'église protestante d'alors et qui ferait allégeance au pouvoir civil.
Mermillod se battit comme un beau diable contre cette soumission. Et quand le pape évidemment, du même avis que lui, crut bon de le nommer vicaire épiscopal de Genève (c'est-à-dire sous-lieutenant du pape), le gouvernement genevois obtint de la Confédération l'expulsion pure et simple du bouillant abbé.
S'en suivirent la résistance des catholiques des 22 communes rattachées au canton en 1815, la fermeture de plusieurs églises, dont celle de Compesières, ou leur attribution, comme celles de Carouge ou de Saint-Germain, au culte catholique chrétien (des dissidents de l'église catholique romaine qui acceptaient de devenir une église nationale, surveillée par le ministre des Cultes). C'est à cette époque - le 25 janvier 1875 - que survint le baptême à la baïonnette dont Compesières fut le théâtre et les maires de Bardonnex et de Plan-les-Ouates les acteurs.
Un nouveau pape Léon XIII, ouvert aux questions sociales, dont l'encyclique Rerum novarum est un marqueur aussi important que Laudato Si du pape François, décrispa la situation. Mermillod est nommé évêque de Fribourg Lausanne et Genève. Il peut rentrer en Suisse mais ne foulera plus ses terres genevoises.
Au niveau politique suisse, l'instauration de l'élection du Conseil national au système proportionnel, puis des droits de référendum et d'initiative tempèrent le pouvoir absolu des radicaux. La Suisse pauvre, qui envoie ses enfants conquérir le monde, est à l'aube d'un siècle et demi d'une prospérité sans précédent. Beaucoup de beurre dans les épinards.
A Genève, la séparation des Eglises et de l'Etat en 1907 et l'acceptation tardive par l'Eglise catholique du régime démocratique jouent l'apaisement. Peu à peu les partisans de Dieu et ceux de l'empereur dialoguent. Ils dialoguent même par-dessus des frontières confessionnelles. Genève devient l'un des creusets de l'œcuménisme et de la concorde internationale.
Enfin, alors que le rock et les yéyé déferlent sur les ondes des radios pas encore libres, le Concile Vatican II remet le peuple de Dieu au milieu du village. En clair, le évêques et les prêtres sont priés de se mettre au service des gens et des plus pauvres d'entre eux.
La révolution est loin d'être gagnée. Le synode des évêque sur la co-gouvernance de l’Eglise, dont la seconde et dernière session s’ouvre le 2 octobre prochain, montre que le fruit est encore vert, âpre et acide. Le clergé s'accroche à son privilège eucharistique et à son pouvoir d'absolution des péchés. Les catholiques désertent alors les églises.
Suite de l'histoire?
Dimanche, Mgr Morerod, entouré de prêtre habillés de vert, de servants en blanc, de lectrices, de chanteurs et chanteuses ainsi que d'un garde suisse, sous le regard d'une vierge de l'immaculé conception, don du pape Pie IX à Mgr Mermillod, s'en tint à un service minimal et ne tira aucun leçon de cette histoire enflammée et passionnée, vieille d'un siècle et demi. N'y a-t-il donc plus rien à apprendre du Kulturkampf du XIXe siècle et de la résistance de Mgr Mermillod? Ne vit-on pas une nouvelle lutte des cultures aujourd'hui?
Dans son encyclique Laudato Si, le Pape François met en garde contre la croyance des hommes qui est la nôtre aujourd'hui que tous les problèmes, les maladies, les dysfonctionnements, le réchauffement climatique, la faim, la pauvreté, les guerres ont une solution. Et qu'il suffit de le vouloir pour trouver et mettre en oeuvre ces solutions.
A Genève, l'Eglise catholique s'est enfin soumise au pouvoir politique. La loi sur la laïcité de 2018 lui fait obligation de signer une déclaration qui est une forme d'allégeance au pouvoir politique. C'est la condition fixée par les autorités, par le peuple genevois donc, pour que les Eglises puissent agir dans le domaine public, notamment au travers des aumôneries dans les hôpitaux, les prisons, les centres de gestion des migrants.
Le droit de manifester est garanti. Cependant notre unité pastorale ne peut célébrer une messe à l'air libre à Troinex et à Carouge, que parce que le pré de Troinex appartient à la paroisse et la jardin de la cure de Carouge à la paroisse Sainte-Croix. Impossible de dire une messe à Compesières sous le hangar ou à la Bossenaz. Les processions sont tout juste tolérées.
Tant mieux, dira-t-on. Les religions promeuvent la paix. Elles ont été et sont souvent instrumentalisées par les fauteurs de troubles.
Commentaires
Merci pour cet excellent historique. Juste deux chiffres à rectifier: le baptême à la baïonnette, c'est en 1875, pas en 1975; et la loi sur la laïcité, en 2018 et pas 2028!